Hugo Lloris : de la colline de Cimiez au toit du Monde !

Qui d’autre qu’Hugo Lloris pouvait inaugurer ce blog, lui le nissart expatrié chez les british ? Il faut dire que le choix n’est pas très original puisque la France tout entière n’a désormais d’yeux que pour le capitaine des bleus, nouveaux champions du Monde sous un ciel moscovite aussi ténébreux que l’ami Vladimir.

Mais les niçois n’ont pas attendu les célébrations nationales pour porter aux nues celui qu’ils ont toujours considéré comme leur enfant chéri, allant même jusqu’à lui pardonner son infidélité lyonnaise. Ils voulaient tant le voir grandir, eux qui ont assisté à son éclosion, sa croissance et son envol. Au paradis des stades, le Ray se souvient encore de ce gamin timide qui ne s’exprimait que par de sublimes parades et de fulgurantes sorties aériennes.

Alors, comme lors de chaque grand évènement familial, on ouvre les albums photos pour se souvenir du passé. On cherche les dossiers attestant qu’on le connait depuis qu’il est pitchoun, lorsqu’il débuta le football sur la colline de Cimiez, au Cedac.

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Frites-Coca pour Hugo avec le maillot du Cedac

Puis on se souvient qu’en 2012, on lui demanda de nous raconter sa jeunesse et vie au Gym, son « club de cœur », comme il aime à le rappeler. Il avait alors livré un témoignage qui prend aujourd’hui un nouveau relief puisque ce parcours l’a conduit… sur le toit du Monde !

 

LE CENTRE DE FORMATION

Hugo Lloris, quel souvenir gardez-vous de vos débuts à l’OGC Nice ?

Ce club représente toute mon enfance puisque je suis arrivé à l’OGC Nice à l’âge de 10 ans et que j’ai ensuite joué dans toutes les équipes de jeunes du club.

À partir de quel âge avez-vous intégré le centre de formation ?

En fait, ma particularité, c’est que je ne l’ai jamais intégré ! J’habitais chez mes parents et j’ai suivi un cursus scolaire classique comme n’importe quel jeune, d’abord au collège Raoul Dufy puis au Lycée Thierry Maulnier à Nice. Le soir, après les cours, j’allais m’entraîner sur les terrains du centre de formation qui n’étaient pas loin de ces établissements scolaires. Souvent, comme les horaires de l’équipe première n’étaient pas adaptés à mes horaires de cours, je m’entraînais avec d’autres équipes. Je tiens d’ailleurs à remercier les personnes du centre de formation de l’époque, notamment Gérard Buscher, qui ont énormément compté dans ma formation et qui m’ont donné une liberté me permettant de concilier mon parcours scolaire avec ma formation de footballeur. Jusqu’en classe de Terminal scientifique, j’ai continué avec cette organisation. Aujourd’hui, lorsque j’y repense, je me dis que j’ai vécu durant cette période mes plus belles années… J’étais jeune et insouciant… Les années au lycée étaient très sympas à vivre. Le soir, on avait plaisir à se retrouver pour jouer au foot et décompresser de la journée. Les journées étaient d’ailleurs très longues mais ce temps-là reste vraiment un bon souvenir…

Durant cette période, que représentait le football pour vous ?Envisagiez-vous déjà d’en faire votre métier ?

Le football était avant tout un plaisir. Il est vrai que dans ma tête, j’avais l’idée d’aller le plus loin possible mais ma priorité était avant tout d’obtenir mon Bac. Après le Bac, je me suis donné un an pour m’investir à fond dans le football pour voir si ça pouvait marcher.

Vous ne vous êtes jamais posé la question de rejoindre un centre de formation d’un club plus huppé que l’OGC Nice ?

Jamais. En fait, je ne réfléchissais même pas à ce qu’il pouvait y avoir ailleurs. J’avais mon rythme de vie, jonglant avec l’école et le foot et je me sentais très bien comme ça. En plus, j’ai joué au moins dix ans avec les mêmes joueurs et des liens s’étaient créés.

LES DÉBUTS AVEC LES PROS

En 2004, vous avez été Champion de France avec l’OGC Nice dans la catégorie des moins de 18 ans. D’autres joueurs de cette équipe ont-ils percé en Ligue 1 ?

Très peu et ça reste un regret pour moi car je pense que le club n’a pas su développer le potentiel de cette équipe. Je pense qu’au moins quatre ou cinq joueurs pouvaient prétendre à une carrière professionnelle. Cette génération 85 était belle. Il y avait Padovani et Larbi qui n’ont joué que quelques matchs en équipe professionnelle, ce qui est vraiment dommage car ils avaient un réel talent. Actuellement, il reste encore Scaramozzino qui joue à Châteauroux, Lamatino qui joue à Laval et Gace qui a joué à l’OGC Nice et qui était de la génération 86, comme moi.

Vous intégrerez le groupe professionnel dès 2004, à 17 ans à peine…

Juste après le titre de champion de France des moins de 18 ans, je passe et réussi mon baccalauréat. Dix jours après, je débute la saison avec le groupe professionnel ! Nous partons en stage d’avant-saison à Saint-Martin Vésubie, me semble-t-il. L’équipe est conduite par Gernot Rohr et nous sommes quatre gardiens avec Grégorini, Valencony, Munoz et moi. Durant cette saison 2004/2005, je joue d’abord six mois en CFA. Ensuite, Bruno Valencony se blesse et je deviens alors le gardien numéro deux, derrière Grégorini.

Vous découvrez le monde professionnel. Quelles sont vos premières impressions ?

L’ambiance créée autour du club par le président Cohen et Gernot Rohr était très familiale. Mon intégration a été aussi facilitée par la présence de très bons gars comme Cobos, Abardonado, Traoré et Échouafni, qui m’ont tout de suite pris sous leur aile.

En juillet 2005, vous devenez champion d’Europe avec l’équipe de France des moins de 19 ans. Quel souvenir en gardez-vous ?

J’en garde un très bon souvenir, bien évidemment. En fait, je considère cette compétition, qui se déroulait à Belfast, comme un passage symbolique entre la période de ma jeunesse et celle de ma vie professionnelle puisque je débute la saison suivante en tant que deuxième gardien de l’équipe première.

Nous arrivons donc à la saison 2005/2006, marquée par l’arrivée de Frédéric Antonetti à l’OGC Nice…

Bruno Valencony intègre le staff technique et j’occupe donc officiellement la position de deuxième gardien, derrière Damien Grégorini. Je pense qu’Antonetti avait une idée derrière la tête… Il savait qu’il avait un jeune prometteur et son idée était de me lancer dans les matchs de coupes pour savoir ce que j’avais vraiment dans le ventre. Avec Damien, on composait une bonne doublette. Lui, en tant que gardien d’expérience et moi, en tant que jeune encore en formation.

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Hugo et Bruno (Valencony) au boulot

En quoi Frédéric Antonetti vous a-t-il permis de progresser ?

À partir du moment où il sent le potentiel d’un joueur et où il a cerné sa personnalité, il va tout mettre en œuvre pour le faire progresser au maximum de ses capacités. Ce fut le cas avec moi. De toute manière, c’est aussi ce qui le motive particulièrement dans son métier et il s’est rarement trompé. Alors, il va tout faire pour mettre le joueur en confiance et chose très importante, il va lui donner du temps de jeu. Il sait être patient. Ensuite, c’est au joueur de saisir sa chance. À l’époque, c’était une nouveauté au club. Il y avait beaucoup de joueurs trentenaires et c’est lui qui a commencé à lancer des jeunes joueurs.

Vous souvenez-vous de votre premier match en tant que titulaire ?

J’avais 18 ans et il s’agissait d’un match en coupe de la Ligue au Ray contre Châteauroux. Nous avions gagné après prolongation 2-0 me semble-t-il. Je me souviens que j’avais dû porter une chasuble parce qu’il y avait un problème de couleur de maillot…

Comment avez-vous abordé ce qui était le premier match de votre carrière professionnelle ?

Je n’ai pas ressenti de pression particulière. J’avais attendu longtemps ma chance, elle s’est présentée à moi et je n’ai pas trop réfléchi…  Je ressentais surtout beaucoup de plaisir et j’avais une grosse envie de réussir

Vous dites que vous aviez attendu longtemps votre chance alors que vous avez débuté à 18 ans !

Vous savez, à partir du moment où j’ai décidé de tenter ma chance dans le football, je m’y suis complètement investi. J’avais envie de m’imposer très vite, même si devant moi, j’avais des gardiens d’expérience. Je n’étais pas là pour perdre mon temps. J’ai toujours eu pour modèle Casillas, qui a débuté très tôt au Real Madrid, et j’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas d’âge pour jouer. Qu’on ait 17 ans ou 38 ans, c’est le meilleur qui doit jouer ! Si je dis que j’ai attendu longtemps, c’est que j’ai débuté à 17 ans. J’attendais donc ma chance depuis un an déjà… Ce n’est pas parce qu’on est précoce qu’il faut attendre. Débuter à 17 ans et attendre d’en avoir 21 pour jouer son premier match, ce n’était pas trop mon idée. Si je suis là, c’est pour arriver très vite au très haut niveau. Voilà mon ambition.

Vous encaisserez votre premier but lors d’un 32ème de finale de coupe de France à Brest…

(Rires) Oui, je m’en souviens très bien. J’en avais même encaissé trois ! C’était un match où j’étais passé un peu à travers, comme on dit…

Vous signez votre premier contrat professionnel en mars 2006…

En fait, j’avais déjà signé un contrat « Élite » incluant un passage automatique en professionnel la saison suivante. Mais étant donné que Frédéric Antonetti souhaitait que je participe à plusieurs matchs de championnat pour préparer la finale de la coupe de la Ligue, il a demandé à ce que je signe plus tôt que prévu.

Le lendemain de cette signature, vous jouez votre premier match de championnat contre Nancy. Jouer au Ray vous procurait-il un sentiment particulier ?

Pas vraiment. Ce qui est curieux, c’est que lorsque j’étais à Nice, je ne me rendais pas particulièrement compte à quel point j’étais lié à ce club. Il a fallu que je m’en éloigne pour vraiment réaliser mon attachement. À l’époque, j’étais tellement obnubilé par les performances de l’équipe et par ma progression que j’en oubliais ce que représentait ce club pour moi. J’étais dans ma bulle et la seule chose qui m’intéressait, c’était les résultats de l’équipe. Une fois que j’étais sur le terrain, j’oubliais tout ce qu’il y avait autour…

2006 : LA COUPE DE LA LIGUE

En février 2006, vous vous préparez à jouer le match le plus important de votre jeune carrière en demi-finale de la coupe de la Ligue à Monaco. Que ressentez-vous avant cette rencontre ?

Ce match représentait beaucoup de choses pour moi. C’était une demi-finale, à Monaco, avec de nombreux supporters niçois présents… Je ressentais beaucoup d’excitation et d’envie. Trop peut-être. À tel point que j’étais inhabituellement maladroit lors de l’échauffement. Bruno Valencony l’a ressenti et a interrompu les exercices pendant quelques minutes. On a discuté ensemble. On a regardé les tribunes pour prendre du plaisir à voir tout cet engouement… J’ai repris l’échauffement et tout est rentré dans l’ordre.

À 19 ans à peine, vous allez vivre votre première finale au stade de France. Avez-vous conscience de débuter une carrière pas comme les autres ?

À l’époque, je ne réalisais pas. J’étais remplaçant et je m’appliquais surtout à utiliser les minutes passées sur le terrain pour m’imposer. Cette finale me laisse un souvenir mitigé. D’un côté, je garde en mémoire la superbe ambiance de la finale avec les 35 000 supporters niçois présents. D’un autre côté, je regrette beaucoup de n’avoir pas pu remporter cette coupe avec mon club de cœur. Je n’ai pas pour habitude de revenir sur le passé mais, encore aujourd’hui, j’éprouve de grands regrets à propos de cette finale…

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Finale coupe de la Ligue 2006. Une de perdue…

ENFIN TITULAIRE

Lors de la saison qui suit, vous devenez le gardien numéro 1. Comment l’avez-vous appris ?

À deux jours du premier match de championnat, Frédéric Antonetti nous a convoqués avec Damien Grégorini et il a annoncé que je devenais le numéro 1.

A-t-il expliqué sa décision ?

Non, il n’a rien expliqué. Il a simplement dit qu’on allait démarrer comme ça.

Vous y attendiez-vous ?

S’y attendre, c’est un bien grand mot. J’avais effectué toute ma préparation comme si j’allais jouer. Il fallait que je sois prêt si on me donnait ma chance.

Votre première saison en tant que titulaire s’avèrera très compliquée…

Nous avions une très belle équipe mais nous avons complètement raté notre début de championnat. Je me souviens d’un match à Nantes, au mois de janvier, où nous perdons 1-0 et où tout le monde nous voit descendre en Ligue 2. Nous étions très mal classés… Finalement, nous jouons un peu plus tard à Lyon et l’équipe réalise un très grand match qu’on aurait même pu remporter. On terminera sur un match nul 1-1. C’est à partir de ce match là que l’équipe est repartie.

Comment avez-vous vécu cette saison ?

Cette saison était très difficile mais aussi très formatrice. Jouer le maintien est très enrichissant pour un joueur en termes d’expérience. Connaître une telle saison dès le début de ma carrière m’a fait progresser encore plus vite. Je pense que cette saison en valait au moins deux ! J’ai aussi été très satisfait d’avoir participé au maintien de l’équipe en Ligue 1.

La saison suivante – 2007/2008 – sera votre dernière saison à l’OGC Nice. Vous faites alors partie de la meilleure défense du championnat avec seulement 30 buts encaissés. Quel souvenir en gardez-vous ?

J’en garde le souvenir d’une superbe saison au cours de laquelle on s’était vraiment régalés ! Nous avions une bonne équipe avec un mélange de jeunes joueurs et de joueurs d’expérience. Il suffit de regarder l’effectif pour réaliser la qualité de notre groupe. Rod Fanni est devenu international, Florent Balmont a été champion de France, Baky Koné est parti pour Marseille, Ederson pour Lyon… Nous étions très bien encadrés par des joueurs d’expérience tels que Rool, Échouafni, Laslande, Létizi. Au cours de cette saison, on va gagner à Marseille et à Paris, on fait match nul à Lyon… On est passé très près d’une qualification pour la coupe d’Europe. Toute la saison, on navigue entre la quatrième et la cinquième place et on s’écroule à la fin du championnat à cause d’un effectif un peu trop réduit. On termine finalement à la huitième place, ce qui correspond à notre place compte tenu de nos moyens mais lorsqu’on regarde la saison, on aurait mérité mieux…

Savez-vous déjà qu’il s’agit de votre dernière saison à l’OGC Nice ?

Disons que j’étais toujours porté par la volonté d’atteindre les objectifs personnels que je m’étais fixés. Je ne m’étais d’ailleurs fixé aucune limite… J’étais le gardien numéro 1 de l’équipe de France Espoirs et j’avais quelques contacts avec des clubs intéressants car ils pouvaient donner une certaine tournure à ma carrière. Tout ça me poussait à réfléchir…

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Hugo et Ederson lors de leur dernier match au Ray

PIONETTI, LE RAY… ET LE GYM

Durant les années passées à l’OGC Nice, quelles sont les personnes qui vous ont particulièrement marqué ?

Elles sont si nombreuses que je ne pourrais pas toutes les citer… Je pense par exemple à Didier Veschi, un entraîneur de gardiens de but dont je garde en mémoire l’approche psychologique du poste qu’il transmettait aux jeunes joueurs. Je pense aussi à Enrico Pionetti qui avait décelé très tôt ma marge de progression. Il prenait du temps pour me faire travailler la gestuelle du gardien de but avec sa méthode très italienne du placement du corps et des mains, ses conseils pour toujours écarter les ballons sur les côtés et tout un tas de petites choses qui me restent encore en mémoire aujourd’hui. La liste des personnes qui ont contribué à ma réussite est très longue… Si j’ai passé mes plus belles années lors de ma formation niçoise, c’est grâce à toutes ces personnes généreuses qui m’ont accompagné et qui étaient là pour me faire réussir…

Que représente le stade du Ray pour vous ?

C’est très simple : le stade du Ray, c’est le stade de l’OGC Nice ! C’est un stade chargé d’histoire et qui a vu jouer de magnifiques équipes. Mais d’un autre côté, il était important de tourner la page pour regarder vers le futur. Le football s’est modernisé et le club doit suivre cette modernisation s’il veut se donner les moyens de progresser. C’est même une question de survie. En France, on parle souvent de Marseille, Paris et Lyon mais à Nice, il y a une forte identité. L’OGC Nice a un grand public. C’est vrai que par rapport à d’autres clubs, les supporters sont moins nombreux, mais ils font énormément de bruit ! Maintenant, il faut que le club grandisse pour bénéficier d’une plus grande reconnaissance auprès du grand public. Il le mérite. Mais pour avoir cette reconnaissance, il faut avoir des meilleurs résultats…

Existe-t-il un espoir de revoir Hugo Lloris sous les couleurs rouge et noire ?

(Silence). Dans le football, il ne faut jamais dire jamais. Un retour à Nice ne fait pas partie de mes projets à court terme mais je ne peux pas nier que je suis très attaché à ce club. On verra bien…

Propos recueillis par Serge Gloumeaud

 (1) Entretien tiré du livre « OGC Nice 2002-2012 : une décennie en question »